Portrait

Denise Holstein, après un long silence, les mots qui apaisent...

Rescapée d’Auschwitz

Rescapée d’Auschwitz à 18ans, Denise a consacré la deuxième partie de sa vie à raconter sans relâche aux collégiens et lycéens d’Antibes l’horreur des camps de concentration. Sans rien dissimuler, elle leur a décrit son quotidien en enfer. Alors bien sûr, ce récit de l’irracontable fait oeuvre de témoignage au regard de l’Histoire, mais il frappe aussi par la dignité, le courage et l’humanité de cette grande dame discrète de 90 printemps.

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"J’ai été arrêtée par la police française une nuit de janvier 1943, lors de la grande rafle de Rouen. Le lendemain matin, on nous a mis dans un train pour Paris, puis des bus nous attendaient pour Drancy… Le 6 février 1943, c’est dans ce camp que j’ai eu 16 ans. Ce jour-là, mon père m’a dit : je ne sais pas où nous serons pour tes 17 ans mais je te promets, pour tes 18 ans tu auras une belle fête. Denise s’interrompt. L’émotion est trop forte et le souvenir de son “cher papa” la submerge. Un père adoré dont elle sera à jamais séparée quelques jours plus tard et qui mourra en camp de concentration comme sa maman.

Mes enfants d'Auschwitz
Malade, Denise est emmenée à l’hôpital et n’est pas reconduite à Drancy mais à Louveciennes dans un centre d’enfants juifs dont les parents avaient été déportés. Les enfants dont j’avais la charge avaient environ 5-6 ans et je passais mes journées à les faire jouer. Des enfants qui deviendront vite les siens et auxquels elle rend hommage dans son livre (1)Et puis le 31 juillet 1944, on nous a mis dans le dernier gros convoi de plus d’un millier d’enfants. Convoi 76. La Normandie était déjà libérée. On a passé deux jours et demi dans des wagons à bestiaux. On était une cinquantaine assis par terre avec une chaleur épouvantable. Deux fois le train s’est arrêté pour qu’on puisse vider les seaux et prendre un peu d’eau... La 3e nuit le train a été stoppé, on entendait des hurlements en allemand, des chiens aboyaient, nous ne savions pas où nous allions. Sur le quai c’était l’horreur. Un Français en treillis m’a vu tenir la main d’une petite fille. Il m’a intimé l’ordre de lâcher l’enfant et de partir sur la gauche… À droite c’était la chambre à gaz. Il m’a sauvé la vie… Long silence.
Sur un convoi de 1200 personnes on s’est retrouvé à 50 femmes et une quarantaine d’hommes.

Ils ne m'auront pas
Une fois au camp d’Auschwitz, le ciel était tout rouge. ça avait l’air de brûler quelque part. Une femme est venue me voir et m’a dit regarde là-haut c’est là que sont partis tes parents. Les chambres à gaz brûlaient nuit et jour. Je n’ai pas voulu y croire. C’était impossible. Pour survivre, il fallait surtout ne penser à rien. On nous a envoyées à la  douche, rasé la tête, tatoué le bras. Puis entassées à 6 femmes dans un baraquement dans un lit qui pouvait à peine contenir 2 personnes.
Toutes les journées se ressemblaient. Privations, humiliations, travaux de force, appels de jour comme de nuit, alignements pendant des heures devant les baraquements par -30°, invasions de poux, crasse, puanteur, maladies,
coups de fouets et de crosses, solitude... Tout de suite j’ai pensé, ils ne m’auront pas. Denise va passer 5 mois dans ce camp d’extermination où elle croisera le médecin nazi Josef Mengele qui “l’épargnera” en ne la sélectionnant, ni pour ses expériences, ni pour les chambres à gaz. Plus de 70 ans plus tard, j’ai encore le timbre glacial de sa voix qui résonne quand il a prononcé mon nom : Denise Holstein.
À la Libération, Denise se réfugie chez ses grands-mères à Paris. Elle se mariera et aura deux filles. Comme beaucoup de rescapés des camps de la mort pendant des années, Denise ne livrera à personne son douloureux secret. Je pensais que personne ne pouvait comprendre...
Jusqu’à ce qu’une amie professeure lui demande de témoigner devant sa classe... Elle m’a laissée seule face aux jeunes et là, la parole est enfin venue. Avec beaucoup de mal au début, puis de façon de plus en plus fluide jusqu’à ce que je ne m’arrête plus jamais de témoigner surtout devant les jeunes. Ils sont toujours très réceptifs et très respectueux de cette parole. Je me souviens d’une jeune fille qui après mon intervention s’est timidement
approchée de moi : “Tenez j’ai 17 ans aujourd’hui, c’est l’âge que vous aviez à l’époque. Mes parents m’ont offert ce parfum ce matin... Je vous le donne...”.
Reste désormais la difficulté de parler aux siens, enfants et petits-enfants. Cela reste compliqué de livrer tout cela aux siens. Je ne sais pas si c’est de la pudeur ou autre chose... Mais disons que c’est la dernière barrière que j’ai du mal à franchir.

(1) “Je ne vous oublierai jamais, mes enfants d’Auschwitz…” par Denise Holstein chez Edition°1