1930-1962, Mémoires d'Algérie

Soixante années après la fin de la guerre d’Algérie et son accession à l’indépendance, des Antibois se souviennent. Les Archives municipales ont consigné leurs souvenirs et leurs réflexions sous forme d’entretiens filmés. Chaque témoin a une connaissance intime de l’Algérie, ils y sont nés ou leurs parents y sont nés, ou ils y ont combattu avant 1962. Ils apportent leur contribution à la compréhension à la fois de cette société algérienne d’avant 1962, mais aussi de la société française jusqu’à notre époque.

Une société entre melting-pot de la Méditerranée et ordre colonial, 1830-1930

La présence française en Algérie a duré 132 ans, de 1830 à 1962. Unique colonie de peuplement de la France, assimilée institutionnellement à la métropole depuis la décennie 1870, l’Algérie a accueilli une immigration venue d’Europe, de France mais aussi d’Italie, d’Espagne et de Malte...

Cette société méditerranéenne multiethnique de l’Algérie d’avant 1962 se compose de trois grandes communautés aux origines, à la culture et à la religion différentes : les européens, en majeure partie citoyens français, les juifs dont toute une partie indigène, naturalisée française par le décret Crémieux de 1870 et la population musulmane arabe et kabyle, de très loin la plus nombreuse. Cette population musulmane indigène, dite des Français musulmans, ne bénéficie pas de la plénitude des droits civiques. L’institution de deux collèges lors des élections sépare le corps électoral entre citoyens de plein droit, les européens et juifs indigènes naturalisés d’une part, et les musulmans relevant du statut de l’indigénat. Les communautés se côtoient sans se mélanger.

La marche vers l’indépendance, des réformes impossibles à la guerre à outrance, 1930-1962

Les échecs successifs des réformes tendant à ouvrir la citoyenneté aux musulmans et à les associer à la direction des affaires ont puissamment contribué à les détourner du modèle de société instauré par la France en Algérie et à nourrir le nationalisme algérien. Ce mouvement naissant dans les années 1930, aboutit en 1945 aux premières revendications d’indépendance. La société algérienne, de plus en plus divisée, bascule progressivement dans une guerre, civile pour les uns, d’indépendance pour les autres.

Les émeutes de Sétif, les massacres d’européens du Constantinois et la répression qui s’ensuit marquent les prémisses d’un cycle de violences extrêmes. Après un temps d’apaisement apparent, un contexte de guerre s’installe à partir de 1954 entre le Front de Libération Nationale et l’Etat français et inévitablement entre les communautés. Le conflit trouve son dénouement dans les Accord d’Evian du 19 mars 1962 et l’indépendance le 5 juillet. Le dénouement est une convulsion qui aboutit à des massacres d’européens et de musulmans restés fidèles à la France et au départ massif pour la métropole des européens et des juifs d’Algérie.

Les bâtisseurs

La tragédie humaine et politique de la guerre d’Algérie est à replacer dans le contexte mondial de décolonisation des nations d’Afrique et d’Asie. Comme la plupart des sociétés extra-européennes, c’est dans le contexte colonial des XIXe et XXe siècles que l’Algérie est passée d’une société traditionnelle au monde contemporain. Ce bouleversement de l’ordre ancien s’est caractérisé par l’irruption au sein de ces sociétés des modèles économiques, sociétaux et culturels occidentaux qui sont devenus dominants. Cette époque s’est traduite en Algérie par l’essor d’une économie dynamique intégrée aux circuits d’échanges internationaux, à la construction d’infrastructures portuaires, routières et ferroviaires et le développement de villes aux standards européens, le tout conduit par l’entreprenariat des européens d’Algérie et les capitaux français.

Pourtant, mis à part une mince élite associée à cette prospérité, les masses musulmanes en sont exclues. La création des Sections administratives spécialisées dans les douars et du plan de Constantine entre 1956 et 1960 correspond à la prise de conscience tardive par le gouvernement français de l’état alarmant des populations laissées pour compte.

Pour autant, la société de l’Algérie d’avant 1962, avec ses discriminations en fait sinon en droit, ne se réduit pas au seul ordre colonial. Elle a suscité un idéal de dépassement des fractures entre communautés et la manifestation chez une partie de la population d’un vouloir vivre ensemble, le rêve d’une troisième voie. Cet idéal inspire aussi bien en 1943 le Manifeste du peuple algérien de Ferhat Abbas que les plaidoyers d’Albert Camus en faveur d’un possible humanisme méditerranéen où les différentes communautés se mêleraient dans un destin commun. Le rêve a été emporté par la guerre. Enfin, une partie de cette société algérienne a participé après 1962 à la prospérité française des Trente glorieuses, par l’esprit d’entreprise qui animaient les «  pieds-noirs  » appelés à reconstruire leur vie, mais aussi par l’apport en main d’œuvre de l’immigration maghrébine, indispensable à de nombreux secteurs de l’économie.

Chaque témoin, soixante ans après, a souhaité apporter par son récit de vie sa contribution à une mémoire plurielle de l’Algérie et à la compréhension d’une histoire qui demeure aussi une histoire française. .

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